Voir un film militant – L’avortement en France de Marianne Ahrne

Voir un film militant c’est l’occasion de se replonger dans une époque, de se souvenir ou de découvrir. Dans le cadre du programme de recherche « Cinéma/vidéo, art et politique en France depuis 1968 : dispositifs, archives, numérique » porté par le Labex Arts-H2H avec l’Université Paris 8, la BnF, le CNC, l’Association Carole Roussopoulos et la collaboration d’Archives du féminisme et de la Bibliothèque Marguerite Durand étaient projetés deux films rares de 1971 le 25 novembre dernier au Forum des Images : L’Avortement en France » de Marianne Ahrne, et  « Sorcières Camarades » de Danielle Jaeggi.

1971, en France l’avortement est encore interdit et son droit farouchement convaincu.  Sa pratique illégal est fortement pénalisé entrainant des dérives de la part de médecins véreux qui font payer le prix fort pour pratiquer une opération dans des conditions où, l’insalubrité et la mise en danger de la patiente va de pair avec un irrespect à son égard. Si les personnes les plus riches peuvent financer un avortement en clinique à l’étranger, ce n’est pas le cas d’une grande majorité de la population. Cette dissonance dans un climat post-68 est vécue comme une véritable différence de classes à une époque où une grille de lecture marxiste de la société n’avait pas encore été remplacée par une grille de lecture communautaire. 1971 c’est également l’année où devant cette hypocrisie est publiée le 5 avril le manifeste des 343.

Tourné après la parution de cette pétition dans le Nouvel Observateur, L’avortement en France est un travail de commande  pour la télévision suédoise (Pays où l’avortement était légal) tournée avec peu de moyens et dans l’urgence. S’il remplira d’émotions les militant(e)s, il résume aussi l’objet filmique et touche quelque chose propre au cinéma qui dans sa construction traverse les époques : être très contextualisé mais encore pertinent en dehors de son époque.

Car voir un film militant c’est aussi voir la rencontre entre un parti pris esthétique et un parti pris militant. La rencontre entre deux temporalité qui ne vont pas forcément vieillir de la même manière. Ici, par un montage nerveux et efficace, construit comme une conversation fluide où la réalisatrice s’efface derrière les différents  protagonistes, le spectateur est amené à réfléchir par lui même à la question devant les présentations des arguments de toutes les parties. En résulte une pertinence encore d’actualité car l’intérêt historique de restituer l’atmosphère d’avant la loi Veil se double d’un dialogue morale.

Par les voix des différents protagonistes du film (des figures historiques du MLF comme Simone de Beauvoir, Christiane Rochefort, Delphine Seyrig, le Docteur Pierre Simon, des opposants comme le conseil de l’ordre des médecins, des hommes politiques mais aussi des simples passants interrogés  au cours d’un micro trottoir) se pose la question de la place des femmes et des hommes, du contrôle de son propre corps, de ce qu’est la vie. Des questions au croisement de la biologie et de l’éthique qui dépassent le cadre d’une époque ou d’une législation mais concerne  l’éducation de tout un chacun, de son rapport à soi même et à autrui, des questions qu’il est important de ne pas perdre de vue sinon d’autres se les poseront à notre place et imposeront leurs réponses. A une époque où des femmes se revendiquent anti-féministes car elles aiment faire la cuisine, il est bien de se rappeler que ce n’est pas parce qu’un combat a été gagné qu’il faut le laisser dans les livres d’histoire.

Mais voir un film militant c’est aussi l’occasion de découvrir les gens qui s’organisent pour diffuser des oeuvres dont l’information ne circule que par le bouche à oreille. Cette séance était l’occasion d’apprendre que ce film qui était jusque là inédit en France sera rediffusé au Petit auditorium de la BnF le 18 décembre à 18h avant une possible édition Dvd et que l’association Bobines féministes crées dans le cadre du programme de recherche « Cinéma/vidéo, art et politique en France depuis 1968 : dispositifs, archives, numérique » était entrain de mettre en place une plateforme numérique de films et d’archives où les films anciens pourront être croisés avec des sources écrites, iconographiques ou orales. Une initiative à saluer à suivre donc.

Le programme du séminaire qui se tenait le 17 et 18 décembre : http://www.labex-arts-h2h.fr/fr/IMG/pdf/programme_colloque_cloture_cinepol68.pdf

photo : « La Foire des femmes » à la Cartoucherie de Vincennes en juin 1973. Photographie de Monique Duriez

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